Lecture du roman "Les Esprits de la terre" de Catherine Colomb
Laissez-vous emporter par la lecture intégrale vivante et réjouissante en 7 épisodes du roman "Les Esprits de la terre" de Catherine Colomb
Les Esprits de la terre met en scène une famille propriétaire de vignes sur les bords du Léman, se partageant deux domaines: le château de Fraidaigue (le château de Saint-Prex, lieu de naissance de Catherine Colomb), au bord du Lac, et la maison d’En Haut, située au pied du Jura.
La spoliation tant matérielle qu’affective d’un héritier indésirable, et la ruine imminente d’une classe sociale nantie font l’intrigue.
Mariage d’intérêts et alliances arbitraires, jeunes parvenus et boucs émissaires, persécuteurs et persécutés composent un univers déchiré entre deux pôles contraires qui resteront irréconciliés.
Une énigmatique messagère ainsi qu’une foule d’anonymes, regroupés par genres ou par métiers, participent eux aussi à cette sinistre comédie humaine: servantes et domestiques, forains, pêcheurs, pasteur et vieilles dévotes, villageois, employés de banque, simples d’esprit et, surtout, la petite troupe d’enfants armés de trompette vertes, porteurs d’une sourde révolte.
Catherine Colomb décrit de façon incomparable les blessures d’enfances, les relations entre les forts et les faibles, la revanche des opprimés, elle parle des flux de réfugiés de la première guerre mondiale, d’Europe, autant de thèmes qui font écho aujourd’hui.
L’objectif de la démarche est de rendre ses romans accessibles à tous, les faire entendre, faire apparaître l'univers si incroyablement touchant, drôle, bienfaisant et réparateur de l'auteure.
Où ? La Sarraz, Lausanne, St-Prex,
Quand ? Du 11 avril au 10 décembre
Combien ? Entrée libre
Les Esprits de la terre - Episode 5 - Usine la Filature, ch. de la Condémine 1305 La Sarraz
Usine la Filature, ch. de la Condémine
1315 La Sarraz
Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soulevant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.