Tapi dans l’ombre, il attend avec une patience de mort sa prochaine proie. Un sourire déchire déjà son visage étonnement séduisant et dévoile des dents immaculées, qui ne tarderont pas à s’empourprer…
Le vampire, figure emblématique de l’univers gothique, hante nos nuits depuis plus de trois siècles. De la strige démoniaque au gentleman torturé, les formes qu’il prend sont aussi variées que les plumes qui écrivent son histoire. Pour mieux comprendre cet être surnaturel, intéressons-nous à ses origines et à la manière dont il a marqué la littérature occidentale.
Le vampire, ce monstre du peuple
En France, nous devons la première définition du mot « Vampire » au célèbre dictionnaire de Trévoux, édité en 1752. À cette époque, le vampire est associé à sa cousine la strige. Difficilement discernables, les différences qui existent entre ces deux créatures sont terriblement subtiles. Le vampire est un mort qui se nourrit du sang des vivants, tandis que la strige est un démon qui déverse le sang de ses victimes dans un corps mort.
Bien loin de l’image du gentilhomme romantique et sensuel, le vampire du 18ème siècle effraie et dégoûte. Son visage est rougeaud tandis que du sang, récemment ingurgité, s’échappe de ses différents orifices. Ses ongles et ses cheveux - quand il en a - sont démesurément longs car ils ont eu le temps de pousser dans la tombe d’où il s’évade chaque nuit - et même parfois la journée.
Synonyme de monstruosité et de pulsions refoulées, le vampire du 18ème siècle appartient à la plèbe. Les écrits de cette époque utilisent principalement cette créature pour symboliser les maladies et les peurs sociales omniprésentes au temps où les révolutions sont menaçantes.
Création d’un mythe
Au 19ème siècle, le monstre sanguinaire laisse place à une créature cultivée et raffinée. Témoin de sa damnation, le teint blafard de ce vampire aristocrate ne gâche en rien son charisme hypnotique.
Lord Ruthven est une des premières occurrences européennes de ce vampire d’un nouveau genre. Impudique et dépravé, les méfaits de cet aristocrate anglais sont contés par Aubrey, un riche orphelin victime du vampire. Cette nouvelle prend forme sous la plume de William Polidori en 1819. « Le Vampire » connaît un succès important et popularise le mythe vampirique, qui sera repris dans de nombreuses oeuvres littéraires par la suite.
À lire : « Le Vampire » de W.Polidori, 1819.
La femme vampire, cette dépravée captivante
Image : David Henry Friston
L’imaginaire collectif nous impose un vampire masculin et hétérosexuel. Pourtant, la figure féminine du vampire est très largement représentée par les écrivains du 19ème siècle. Sensuelle et libérée, la femme vampire incarne tout ce que la société rejette. Elle envoûte les hommes et pervertit les femmes. Terrible diablesse, la femme vampire est souvent engagée dans des valeurs saphiques.
En 1872, Sheridan Le Fanu écrit « Carmilla ». Ce roman retrace l’histoire de la vampire éponyme, victime de son état. Héroïne détestable, Carmilla incarne l’inacceptable que la société de l’époque dénonce. Sexualisée, elle ne fait jamais l’amour pour procréer. Mécréante, elle repousse constamment la foi et Dieu. Pécheresse absolue, elle entraîne une jeune femme, Laura, dans ses vices. Manipulatrice mais aimante, Carmilla est une vampire complexe et torturée.
À lire : « Carmilla » de S. Le Fanu, 1872.
Dracula, l’incontournable
Inspiré par « Carmilla » de Le Fanu, Bram Stoker rédige en 1897 une oeuvre qui vient bouleverser à jamais le mythe du vampire : « Dracula ». Entre récits mythologiques, légendes urbaines et faits historiques Stoker cultive avec avidité le moindre de détail participant à la création de son vampire originel.
Aristocrate venu de l’Est, Dracula symbolise à la fois l’exotisme fascinant et l’étranger menaçant, venu corrompre la bonne société victorienne. Enigmatique, le vampire se construit uniquement autour de ce que les autres dévoilent de lui dans une série d’échanges épistolaires.
Ce genre littéraire singulier est sans aucun doute à l’origine de cette fascination qui entoure encore aujourd’hui le comte Dracula.
À lire : « Dracula » de B. Stoker, 1897.
Le vampire moderne, l’amant torturé
Dracula frémit de mépris en découvrant ce que sont devenus ses successeurs. Loin du monstre méphistophélique, les vampires modernes s’humanisent. Il refusent d’abuser de leurs victimes et certains ne boivent plus de sang humain. Nous pouvons observer cette tendance notamment dans le roman d’Anne Rice, « Entretien avec un vampire », ou dans la trilogie de Stephanie Meyers, « Twilight ».
Torturé par son état vampirique, le vampire moderne refuse pourtant de commettre des crimes et contient avec détermination sa nature démoniaque. Doté d’une beauté surnaturelle, l’immortel fascine toujours les femmes qui résistent difficilement à son charme. De pervers narcissique volage, le vampire devient l’amant idéal : fidèle et impliqué. Véritable héros romantique, celui qu’on considérait comme un monstre est à présent admiré, voire envié.
La littérature vampirique ne cesse d’évoluer et de s’adapter à son public. Ces dernières décennies, ce sont les adolescents qui ont été les plus demandeurs. Ce qui justifie l'image aseptisée et idéalisée que l'on retrouve chez nos vampires modernes.
À lire : « Entretien avec un vampire », A.Rice, 1976.
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Auteure : LSA